Internaliser la fonction de facilitateur serait-il un moyen plus efficace pour les collectivités territoriales de favoriser l’insertion professionnelle des publics en difficulté d’accès à l’emploi dans les marchés publics ?
L’article L.2111-3 du Code de la Commande Publique en vigueur depuis le 1er avril 2019 incite les collectivités territoriales et les acheteurs à adopter un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables (…) Ce schéma, rendu public, détermine les objectifs de politique d’achat comportant des éléments à caractère social visant à concourir à l’intégration sociale et professionnelle de travailleurs handicapés ou défavorisés et des éléments à caractère écologique ainsi que les modalités de mise en œuvre et de suivi annuel de ces objectifs (…).
Située dans le département de la Seine-Saint-Denis (93), Romainville est l’une des communes du 93 qui intègre dans ses marchés publics, conformément à l’article précité, des clauses sociales en vue de faciliter l’insertion professionnelle des publics éloignés de l’emploi.
Ainsi pour la mise en œuvre sa politique d’achats publics socialement responsable, la ville de Romainville a créé au sein de ses services communaux, un poste de Facilitatrice de clauses sociales.
Quel est le rôle d’un.e facilitateur.trice de clauses sociales ? Qu’est-ce qu’une clause sociale dans les marchés publics ? Comment est-elle mise en œuvre ?
Pour répondre à toutes ces questions, nous avons interviewé ce mois-ci dans Parole d’acheteur, Valérie TALAMONA qui a occupé jusqu’en Juillet 2021, le poste de Facilitatrice de clauses sociales dans les marchés publics à la mairie de Romainville, afin qu’elle nous présente ses missions, priorités et modalités de mise en œuvre.
Pouvez-vous nous décrire la fonction de facilitatrice de clauses sociales ?
C’est un métier relativement récent et il y a une grande diversité de profils. Être facilitateur c’est d’abord avoir une forte appétence pour la relation entreprise, puisque l’emploi c’est aussi et d’abord les entreprises. Les fondamentaux sont cette relation entreprise et la connaissance des Publics éloignés de l’emploi qui sont le cœur de cible du dispositif.
Nous sommes à ce jour 468 facilitateurs en France (données AVE, 04/2020) dont 109 en Ile-de-France majoritairement portés par les collectivités territoriales, les mairies, quelques maisons de l’emploi et PLIE (plan local pour l’insertion et l’emploi) …
En Seine-Saint-Denis, nous avons une coordination départementale des clauses sociales, animée par le département, qui offre des espaces d’échanges, de formations, de mutualisation de pratiques. Cette coordination est de plus en plus active depuis 2017 car il y a de gros chantiers qui impactent notre département : les JO 2024, le Grand Paris Express les nombreux NPNRU…
Au travers du dispositif des clauses, mon principal objectif est de négocier des postes de travail, à partir des profils des Publics éloignés de l’emploi accompagnés par nos partenaires
En quoi a consisté votre fonction de facilitatrice au Sein du Service Achats de la Commune de Romainville ?
À Romainville, j’intervenais comme un pivot entre les différents services de la ville. J’étais rattachée à la direction Emploi insertion et je travaillais avec tous les services « prescripteurs » qui suivent les Publics, notamment les jeunes et les bénéficiaires du RSA, mais aussi avec les services techniques de la collectivité et la Direction des Affaires juridiques.
Je fais un métier de lien, d’interface avec des partenaires extérieurs comme des bailleurs, des promoteurs privés, la RATP.
Je joue également ce rôle avec tous les acteurs qui peuvent être utiles pour les parcours de nos Publics, comme les organismes de formation, Pôle emploi, Le cap emploi, et toutes les associations qui suivent du Public. Et enfin bien sûr les entreprises.
Pouvez-vous nous préciser le sens de votre mission, l’objet de vos clauses d’insertion sociale ainsi que votre démarche dans les marchés publics ?
Mon rôle consiste à être en permanence en veille sur les grands projets, de manière à anticiper le repérage de Publics par rapport aux clauses que l’on va inscrire. J’ai une démarche proactive et opportuniste, tout achat peut être utile aux Publics du territoire. Pour avoir une anticipation efficace, il est très important d’avoir une connaissance pointue et actuelle des métiers. Le métier de facilitateur est un métier de terrain. Nous sommes d’autant plus crédibles auprès des entreprises si nous connaissons un minimum leur métier, les difficultés à recruter, les normes…
Je vous donne un exemple. Aujourd’hui, des bailleurs arrivent avec des marchés de performance énergétique, des bâtiments où l’on va refaire toute l’enveloppe extérieure. Or je n’ai personne en demande d’emploi qui soit formé au bardage, au travail en hauteur ou à la pose d’isolants extérieurs. D’où la nécessité d’anticiper au moins de six mois sur leurs projets pour prévoir des formations adaptées.
Lorsque j’appelle les entreprises, je parle d’engagement volontaire et non de contraintes. Le moment clé est la négociation, négociation entre le facilitateur et l’entreprise sur les missions à confier aux Publics et sur les modalités de recrutement… Une fois que le facilitateur a validé l’éligibilité administrative du profil, la personne recrutée est un compagnon comme un autre. L’entreprise est libre de choisir de l’intérim, de l’alternance, de la sous-traitance avec les structures de l’Insertion par l’Activité Économique ou du handicap. L’idée pour les entreprises est de voir cela comme un « banc d’essai ». Le facilitateur est là pour les accompagner durant tout le marché, même et surtout s’il dure plusieurs années. Pour rassurer les entreprises, il est important de préciser que les publics que nous proposons sont en capacité de travailler et de faire comprendre que la clause sociale c’est un « emploi classique ».
Chaque mission se termine officiellement à la réception du chantier. On fait alors un bilan avec le donneur d’ordres : nombre d’heures réalisées, est-ce que la clause en condition d’exécution ou dans des critères qualitatifs, a été respectée…
Anticipation, négociation, accompagnement, pour mener à bien sa mission le facilitateur doit avoir localement un réseau, un maximum d’interlocuteurs qui ont des compétences diverses pour pouvoir orienter les Publics en fonction des besoins.
Article L.2111-3 : « Les collectivités territoriales et les acheteurs soumis au présent code dont le statut est fixé par la loi adoptent un schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsables lorsque le montant total annuel de leurs achats est supérieur à un montant fixé par voie réglementaire.
Ce schéma rendu public, détermine les objectifs de politique d’achat comportant des éléments à caractère social visant à concourir à l’intégration sociale et professionnelle de travailleurs handicapés ou défavorisés et des éléments à caractère écologique ainsi que les modalités de mise en œuvre et de suivi annuel de ces objectifs. Ce schéma contribue également à la promotion d’une économie circulaire.
Faut-il envisager des partenariats spécifiques avec des structures tierces ?
Dès qu’une clause est inscrite, il y a nécessairement un facilitateur présent. Et c’est lui qui s’entoure d’un réseau de structures tierces
Les Publics sont suivis par des opérateurs du service public de l’emploi (le pôle emploi, les missions locales, les services RSA, le CAP emploi…). Le sourcing des acteurs que je peux proposer, à la fois aux services techniques mais aussi aux entreprises, se fait via le réseau des structures de l’insertion par l’activité économique (IAE) et tout le réseau du service du travail protégé et adapté (STPA).
Pour les marchés sans publicité ni mise en concurrence, on produit des devis et les techniciens vont faire appel à des entreprises qu’ils connaissent. Mon rôle est de montrer qu’à côté des entreprises et PME locales, les structures de l’IAE ont les compétences et les savoir-faire pour répondre à ces marchés. Je le dis régulièrement aux entreprises : interrogez-les !
Quels sont les apports d’une démarche d’insertion dans les marchés publics pour les personnes bénéficiant de ce dispositif ?
Il faut avoir une vision extrêmement flexible de la clause sociale qui est permise par le code de la commande publique.
Inscrire une clause sociale ou clause de promotion de l’emploi, c’est utiliser tous les leviers pour permettre à des personnes de retrouver le chemin de l’emploi le plus durable. Il y a les heures de travail mais aussi des heures de formation, de découverte des métiers, des heures qui permettent de mettre en relation différents types de publics.
Je vous donne un nouvel exemple sur les heures de découvertes des métiers. C’était à Romainville, sur les marchés de maintenance des distributeurs de boissons et friandises. Les services techniques étaient plutôt réticents car c’était selon eux un petit marché d’interventions ponctuelles, actions préventives ou réparations. Nous avons toutefois inscrit une clause “d’immersion professionnelle” ou accueil d’un stagiaire sur tous les lots et cela a éminemment bien fonctionné. D’une part, car cela nous a permis de faire découvrir aux jeunes le métier de maintenance, de relation clientèle… Et cela s’est tellement bien passé qu’un des stagiaires a été recruté en CDD par une entreprise attributaire. C’est une illustration concrète entre une entreprise qui a des besoins et des Publics auxquels elle n’aurait pas pensé. C’est ce que j’appelle un « banc d’essai. »
Et pour les Publics, dans chaque cas les apports sont considérables ! Cela a un véritable impact dans leur vie quotidienne et leur permet de retrouver un travail.
Les clauses sociales sont souvent vécues comme une contrainte par les entreprises. Comment lever les réticences et accompagner les entreprises ?
Il faut expliquer aux entreprises tous les avantages qu’elles peuvent tirer des clauses sociales, plus particulièrement dans des contextes de pénurie de main d’œuvre.
Quand on demande à une entreprise de réaliser 500 heures dans le cadre des clauses sociales, ce ne sont pas nécessairement des heures de travail. Aujourd’hui par exemple, il y a une offre importante de la part des entreprises spécialisées dans la menuiserie, que ce soit dans le cadre de marchés ou hors marchés. Or, elles nous disent qu’elles peinent à trouver des compétences. Je les incite à prendre une personne en amont qui validera un projet et amorcera une formation. Si derrière elles ne peuvent pas recruter la personne, cela nous permettra malgré tout de la re-proposer dans le cadre d’un autre marché avec une formation solide dans un métier défini.
Autre point : la clause apprend à connaître d’autres structures sur le territoire avec lesquelles les entreprises peuvent collaborer sur des appels d’offres mais aussi en dehors. C’est notamment le rôle des acheteurs d’insister sur ce point. Elle permet de développer de nouveaux réflexes. L’objectif est que les TPE, les PME, très nombreuses en Ile-de-France et notamment en Seine-Saint-Denis, pensent à se diriger vers une structure de l’IAE, une entreprise du secteur adaptée pour répondre en co-traitance.
Enfin il faut préciser que nous n’imposons jamais à une entreprise un seul candidat. Nous soumettons toujours plusieurs profils et l’entreprise est libre de choisir celui qui lui convient le mieux. C’est une liberté pour elle et c’est également une manière de la responsabiliser. Et elle doit savoir que le facilitateur est présent à ses côtés du début à la fin du chantier.
Quelles bonnes pratiques partageriez-vous à un acheteur sur la mise en œuvre d’une Clause d’insertion ?
Le maitre mot est l’anticipation, et nous sommes en mesure de le faire car nous disposons d’outils qui nous permettant d’avoir une vision globale des besoins des collectivités. Autre point crucial, nous l’avons dit, le facilitateur doit impérativement connaitre le territoire et ses ressources. Inscrire une clause déconnectée de la réalité ne nous permettrait pas de positionner correctement les Publics par la suite.
En termes d’outils pratiques, nous avions développé à Romainville, un guide des procédures achats internes qui comprend la partie clauses sociales. Cet outil permet de clarifier les procédures, les nomenclatures, les familles d’achats afin que les services internes à la collectivité ou de l’acheteur travaillent ensemble.
Nous avons également développé une fiche de demande de marchés utilisée dès qu’il y a un besoin exprimé par un service technique. Il doit y avoir un Visa sur cette fiche qui valide le fait d’inscrire ou non une clause sociale et la nature de la clause. Dernière bonne pratique, l’acheteur doit interroger ses élus sur leurs niveaux d’ambition en termes d’achats responsables et la clarifier clairement dans une délibération qui passe en conseil municipal.